[Discussion]#24 Parlons un peu de...

Posté le 20/01/2024 à 14h00 par Schumette
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Bonjour tout le monde ! 

 

Après quelques recherches, nous en savons un peu plus concernant le doublage catastrophique de dernier épisode de Tell your Tale. Ne vous attendez pas à la révélation du siècle, mais on a quand même affaire à des actes vraiment inacceptables de la part des studios.

 

La VF n'est pas la seule touchée

Après quelques recherches, sachez que la VF n'est pas la seule à avoir été changée. Seule la version originale est restée la même, a contrario de la plupart des autres langues qui ont été remplacées ! Beaucoup spéculent sur l'utilisation d'une IA pour faire le doublage à la place de professionnels ; quoiqu'encore non confirmé, ce serait déjà très discutable d'un point de vue éthique, mais ce n'est pas tout ! 

Le non-respect du métier

Si le problème n'était que l'IA, je pense qu'on serait passé vite à autre chose. Inutile de s'attarder sur tout ce qui ne va pas dans l'idée de remplacer des comédiens qualifiés par un programme entraîné avec la voix de ces mêmes comédiens, sans consentement ni compensation, dans le but de  remplacer leur profession par appât du gain. Mais en faisant des recherches, j'ai découvert que la plupart des doubleurs n'avaient pas été prévenus qu'on changeait leur voix. Beaucoup l'ont découvert avec la sortie de l'épisode. La plupart d'entre eux publiant sur Twitter ont expliqué ne pas être au courant de ce changement et surtout être touchés par ce remplacement, dont ils ignorent la raison.

Le métier de doubleur, comme tous les métiers d'acteur, n'a rien de facile, ça ne se résume pas à « on va au studio, on parle dans le micro et puis c'est bon ». Non seulement les séances de doublage requièrent du temps, de la préparation, bref un travail conséquent pour jouer correctement, mais surtout c'est un métier précaire. Les comédiennes et comédiens de doublage doivent en permanence prospecter et passer des castings sans l'assurance qu'on les engage, pour des contrats au cachet qui ne durent jamais très longtemps et sont moins bien rémunérés que lorsqu'on est une tête d'affiche célèbre. C'est pour ça que même des voix régulières d'acteurs célèbres (pour l'exemple, feu Patrick Poivey qui était la VF de Bruce Willis) peuvent s'entendre dans des publicités quelconques. Il faut bien faire chauffer la soupe.

Nous avons donc des doubleurs qui s'accrochent pour faire par passion un métier qui peut peiner à leur faire gagner leur vie, leur seul espoir de stabilité étant que lorsqu'on a doublé un même acteur ou personnage plusieurs fois, on a tendance à le « garder », le public n'appréciant pas les changements de voix intempestifs. Les quelques personnes engagées pour Tell you Tale pouvaient espérer un revenu modeste assez stable, vue la cadence de sortie des épisodes. Et pourtant voilà que tout s'arrête – et encore une fois, sans même qu'on les prévienne !


De deux choses l'une : soit une IA a véritablement été utilisée, pour toutes les autres langues, dans le but de faire de petites économies ; soit les voix ont été confiées à n'importe qui, pas même des amateurs éclairés mais vraiment n'importe qui, probablement pour ne pas avoir à payer un cachet complet qui revient à des comédiens qualifiés, donc encore une fois pour faire des économies. Dans un cas comme dans l'autre, on a décidé que les doubleuses (car My Little Pony étant ce qu'elle est, c'est un des rares univers où l'on a davantage besoin de doubleuses que de doubleurs) de métier étaient accessoires, sauf pour le doublage original – probablement parce qu'on a considéré que le public anglophone considérait une part de marché trop importante pour risque de se l'aliéner. La francophonie ? Plus personne ne parle français sérieusement, on n'y perdra rien – quand bien même c'est la cinquième langue la plus parlée au monde en termes de nombre locuteurs. Les hispanophones ? L'intégralité de l'Amérique Latine, qui a bien souvent un seul doublage, donc il ne s'agit même pas de financer un doublage par nation ? Bah… Si on ne sait pas les situer sur une carte, c'est que ça ne doit pas être de vrais pays de toute façon…

Pire encore, on a estimé que leur travail ne méritait même pas qu'on les informe avant de les remplacer. Des gens qui donnent de leur temps et de leurs efforts pour rendre accessible à un public une œuvre étrangère ne sont donc pas des personnes, pas des employés et encore moins des partenaires, mais des ressources fongibles et interchangeables avec le premier quidam venu ou encore (peut-être) un algorithme crétin, une machine à plagiat louée par une entreprise quelconque. Le public lui-même n'est bien entendu considéré que comme un panel de consommateurs décérébrés qu'on peut tenir pour acquis, et qui se contenteront bien d'un doublage pourri pourvu qu'ils continuent d'acheter nos produits – et s'ils ne les achètent pas, alors ils ne valent pas la peine qu'on investisse dans un meilleur doublage ? C'est ça, la logique ?
Quand bien même ce ne serait pas de l'IA, il semble bien que ce soit l'étape suivante puisque de toute manière les comédiens sont déjà traités comme des outils remplaçables par d'autres, qui font le travail bien plus mal, pour peu que ce soit encore plus bon marché que bâclé.


Si l'on peut avoir des raisons de changer de doubleurs ou d'acteurs pour une même œuvre (différents artistiques, conflits d'emplois du temps ou encore quand le doubleur a des démêlés avec la justice), la moindre des choses est de les en informer et de leur expliquer les raisons – même fallacieuses, plutôt que de les traiter comme une ressource jetable qui n'a pas à savoir pourquoi on la jette. C'est une absence totale de respect et de considération pour une profession entière, qu'on semble juger obsolète.

Même la raison économique peut se justifier dans certaines circonstances : qu'un cachet d'un acteur ou d'une actrice célèbre soit bien trop cher pour une production donnée, indépendante ou qui connaît une mauvaise passe, ça arrive tout le temps. Mais les équipes de doublages encore peu connues de My Little Pony G5 ? Une franchise détenue par Hasbro, numéro 5 mondial du marché du jouet dont le chiffre d'affaire annuel se compte en milliards de dollars ? Difficile de croire que ce soit la disette qui les pousse à amputer les budgets. Plutôt le choix de maximiser les profits à court terme de la compagnie et des actionnaires au détriment de la qualité.


Alors quoi ?

Que faire ? Boycotter purement et simplement la franchise, pour décider de ne plus rien donner, pas même de la publicité à l'entreprise qui la traite sans vergogne ? Pourquoi pas, mais il est certain que ça n'arrangera pas la situation des personnes lésées, en tout cas pas sur le court terme. À supposer (hypothétiquement) que tout le monde arrête subitement de s'intéresser à MLP G5, il y a plutôt fort à parier que dans la suite logique de son attitude, l'entreprise qui la finance décide d'arrêter les frais. Si on ne gagne pas plus à dépenser encore moins, on ne perd rien ou presque à ne rien dépenser du tout. Mais nul doute que l'arrêt total de la franchise mettra fin aux derniers emplois qui n'y avaient pas déjà été remplacés.

Alors faut-il au contraire, et quitte à se forcer, maintenir en vie cette série dont la direction fait des choix à l'éthique plus que discutable, en en parlant, en achetant les comics et les figurines ou en payant son abonnement Netflix, dans l'espoir que la boîte fasse machine arrière ? Dans un monde idéal ce serait tentant, mais difficile de croire que des groupes de décisions qui font autant passer les profits avant les personnes décident de montrer de la gratitude envers les gentils consommateurs qui leur donnent si généreusement leur argent même quand on traite tout le monde comme des mouchoirs jetable.

Je pencherais plutôt pour la première option. Je ne peux pas dire qu'elle est la meilleure. Mais je sais que je refuse de faire le choix de la complaisance envers un modèle aussi mortifère et appauvrissant. Je crois aussi qu'il n'y a que par une réaction forte, une protestation brutale qu'on peut inciter la direction de ces studios et leurs partenaires à faire marche arrière, certainement pas par conscience mais au moins par intérêt économique. Qu'on se dise au moins qu'il y a plus à gagner à maintenir un modèle satisfaisant, qu'à vouloir sabrer partout où l'on croit que ça ne se verra pas trop. En montrant que justement, ça se voit. Et ne serait-ce que pour que d'autres qui envisagent de prendre les mêmes directions, y réfléchissent à deux fois.

Je vous laisse méditer et prendre votre propre décision.

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