[Poney Pique-Selle] Citizen Sleeper

Posté le 24/07/2023 à 14h00 par Anima
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Il y a des jeux comme ça qui arrivent à vous garder plongé dans leur univers. Le genre de jeu qui à un moment vous attrape et vous maintient la tête sous l'eau, et ne vous relâche qu'une fois fini. Et encore, relâché oui, mais marqué à vie. Et bien Citizen Sleeper fait partie de ces jeux, ce genre de jeu qui me laisse éveillé la nuit, remplie de pensée fiévreuse à son sujet.

Vous êtes un sleeper, un androïde dont l'esprit est simulé à partir d'un esprit humain. Main-d'œuvre corvéable à merci appartenant à une mégacorporation, vous avez pris la fuite pour vous retrouver sur L'Œil, une station spatiale livrée à elle-même après que la société la possédant ait fait faillite et l'ait tout simplement abandonnée. Vous allez donc devoir survivre, rencontrer des habitants à même de vous aider et vous trouver une place à bord de cette station, mais attention, vous êtes toujours la propriété de la corporation, qui compte bien vous récupérer.

Citizen Sleeper est un jeu de rôle narratif au système assez atypique : des dés vous seront alloués au début de chaque cycle (c'est comme ça qu'on appelle une journée sur L'Œil) et vous devrez les assigner à différentes actions (travailler, réparer quelque chose, explorer un lieu), la valeur du dé influant sur les chances de réussite de ces actions.  Certaines actions ne nécessitent pas forcément de dés mais des ressources variées : argent pour acheter des objets, nourriture pour cuisiner, données à traiter pour trouver des informations… Le gameplay reste en soi assez simple, voir austère – de même que l'interface qui se veut minimaliste, laissant la part belle à la vue plongeante que l'on a sur L'Oeil, seul visuel que l'on aura de tout le jeu en plus des illustrations des personnages, tout le reste étant décrit textuellement.

Aussi le jeu n'est-il pas des plus accessibles : en plus de cette interface minime, la liste des objectifs (les drives) est assez vague et il suffit de reprendre le jeu après ne pas y avoir touché une journée, et d'être un peu tête en l'air pour oublier où il faut aller. Et pour peu que vous jouiez à la manette, la prise en main nécessite un petit moment d'adaptation. Un autre souci est tout simplement la barrière de la langue, le jeu n'existe qu'en anglais (petit studio oblige, réaliser une localisation coûte cher et ils n'ont pas forcément eu le luxe de le faire). Alors, en soi c'est un problème sans en être un, le fait que ce soit un jeu textuel permet de se poser et de déchiffrer le texte si vous n'êtes pas forcément à l'aise pour lire l'anglais, mais étant sur de la science-fiction, le langage se veut par moments assez technique, j'ai personnellement eu un peu de mal à saisir certaines chose au début quand le jeu parlait du cyberespace, et pourtant, l'anglais est une langue que je maîtrise bien en général.

Par contre, si vous arrivez à surmonter ces problèmes, tout le reste est impeccable. La musique d'Amos Roddy, des ambiances électro rêveuses et pleine d'espoir, est excellente et la manière dont elle est amenée et accompagne les évènement est pertinente du début à la fin. Les illustrations des personnages, réalisées par le dessinateur de BD Guillaume Singelin sont belles, riches de détail (certains semblant insignifiants pouvant être importants pour le lore d'un personnage) et aident vraiment à l'attachement et l'empathie envers les personnages. Quant à l'écriture de Gareth Damian Martin, le créateur du jeu, elle est tout bonnement géniale. Iel arrive à transmettre énormément d'émotion dans ses histoires, les descriptions présentes laissent énormément de liberté au joueur pour s'imaginer sa propre vision des évènements et du point de vue des thématiques abordées, on est sur quelque chose d'assez original pour du cyberpunk.

Parce que si on est dans un enfer tout cyberpunk avec ces histoires de personnes vendant leurs vie à des corpos, de station spatiale constamment au bord de la destruction et de notre sleeper dont les questionnement sur son identité peuvent être nombreux et passionants, Citizen Sleeper ne s'intéresse pas vraiment à ça de près. On est sur des histoires à échelle humaine : ici, pas de croisades contre des corpos à 1 contre 100, on tente juste de faire sa vie en aidant des gens qui peuvent nous aider en retour. Si certains arcs narratifs versent dans des enjeux qui dépassent totalement les personnages (surtout dans le DLC qui est absolument magistral), globalement on va assister à des tranches de vie. On va aider un père ouvrier à garder sa fille pour qu'il puisse avoir sa place sur le vaisseau qu'il construit au travail, on va aider une mercenaire à réparer son vaisseau, on va devenir l'employé de la gérante d'un bar, on va s'associer avec une mécano pour monter un business de réparation… Toutes ces histoires sont touchantes, et certaines partent dans des directions parfois insoupçonnées : par exemple, on commence par aider un ingénieur sur un boulot et on finit par aller mettre à jour des magouilles politiques avec lui. Et globalement, si certaines sont assez amères et peuvent mal se passer, elles trouvent toujours une conclusion allant de la good ending au final doux-amer parce que le cœur du jeu, son message principal en a besoin.

Ce que nous raconte le jeu, c'est que malgré un monde cauchemardesque, où tout le monde est amené à faire avec des évènements dirigés par des forces qui les dépassent (que ce soit des corpos avides, des administrations inefficaces ou juste les caprices du destin), il y a de l'espoir à trouver dans les autres. Si on ne peut pas changer le monde en profondeur, si on ne peut pas être le héros allant combattre l'injustice, on peut quand même faire des choses à notre échelle, aider les autres du mieux qu'on peut, trouver un peu d'espoir dans tout ça. 

Je ne pense pas que je rejouerai à Citizen Sleeper un jour, tout dedans m'a laissé une marque au fer rouge, et je doute que je l'oublie de sitôt. L'aspect jeu de rôle et textuel a fait que j'ai vécu quelque chose qui m'est propre, tout le monde ne vivra pas l'histoire du jeu comme je l'ai vécue, tout le monde ne fera pas les choix que j'ai fait, tout le monde ne suivra pas les arcs du scénario dans le même ordre que moi, et cette histoire qui est la mienne, je compte bien la garder telle quelle le plus longtemps possible.

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