[Des Lumières sur la Toile] #9 – Le Monde Fabuleux de Gaya !

Posté le 17/05/2023 à 14h00 par Tumbleash
 0    

Bonjour à toutes et tous ! Aujourd’hui, direction les années 2000 pour un film qui s’écartait curieusement des canons de son temps : Le monde fabuleux de Gaya !


De gauche à droite : Galger, Bramph, Alanta, Zeke, Boo et Zino.

Synopsis

Dans le monde fabuleux de Gaya, l'héroïque Zino et son ingénieux acolyte Boo ont une routine bien établie : ils partent à l'aventure, affrontent et battent les méchants Snurks, Zino est acclamé et fait son numéro de charmeur à la belle Alanta, qui repousse ses avances. Le tout, sous la protection d'un puissant objet : la Dalamitt, qui assure l'équilibre du monde. Une formule qui marche à chaque épisode – oui, « épisode », car nous avons en fait affaire aux héros d'un dessin animé : Les aventures de Boo et Zino.

Boo a l'habitude de jouer les faire-valoir, 
tandis que Zino récolte toute la gloire. 

Mais un jour, un portail s'ouvre dans le ciel et la Dalamitt est aspirée, ainsi que Boo, Zino, Alanta et les Snurks. Et les voilà qui se retrouvent dans un autre monde… le nôtre ! Le responsable ? Un savant fou qui a créé une machine capable de connecter fiction et réalité (excusez du peu), afin de voler la Dalamitt et s'en servir pour la suite de son plan démentiel. Nos personnages perdus dans ce monde hostile vont devoir apprendre à coopérer pour survivre, retrouver la Dalamitt, vaincre le professeur et rentrer chez eux. Et en plus de ça, ils ne font que quelques centimètres de haut…

Autour du film :

Le monde fabuleux de Gaya est un film d'animation en images de synthèse sorti en 2004 (2005 en France). Réalisé par Lenard Fritz Krawinkel, il est scénarisé par Bob Shaw, Don McEnergy et Jan Berger – plusieurs de ces derniers ayant déjà produit les scénarios de 1001 pattes et le Hercule de Disney.

Le monde fabuleux de Gaya est sorti dans un nombre honorable de pays, chaque fois sous un titre différent : « Retour à Gaya » en Allemagne, « À la recherche de la Pierre Magique » en Espagne, « Gaya » ou « Dans le Monde Magique de Gaya » en Italie, « Retour à Gaya – de petits héros » au Portugal, « Terre Magique » en Amérique latine… Quant au monde anglophone, il le titre tout simplement « Les Snurks », comme si tout le casting pouvait être rangé sous cette étiquette.


 Il faut dire que Galger le chef, Bramph la brute et Zeke le… bah euh, Zeke quoi,
n'ont rien à envier à Diabolo et Satanas, pour ne citer que ce duo légendaire !

D'une durée totale de 97 minutes, le film est une coproduction internationale européenne, mais il a été intégralement réalisé en Allemagne, en complète indépendance des grands studios américains que l'on ne nomme plus. On le verra bientôt, ce côté outsider a ses avantages et ses défauts.

Concrètement, qu'est-ce que ça vaut ? 

Je me souviens que j’ai beaucoup regardé ce film étant plus jeune; je l’appréciais beaucoup pour son esthétique, le monde semi-exotique qu’il proposait – pour ma part, il me faisait beaucoup penser à l’univers de Jak & Daxter, qui précédait de peu le film avant de tomber dans l’oubli.

Je vous présente mon enfance. Dessins de Bob Rafei

Forcément, le monde humain était moins dépaysant, mais il avait le mérite d’être présenté du point de vue de nos petits héros, avec tous les dangers qu’il pouvait receler pour eux – on voit là l’expérience de réalisateurs qui ont d’abord travaillé sur 1001 pattes, autre film que j'ai vu nombre de fois !

Cette parenthèse nostalgique refermée, soyons honnêtes : le film a pris un méchant coup de vieux. Si les techniques utilisées étaient innovantes (les modèles 3D des personnages par exemple furent scannés en 3D d'après des sculptures en argile, plutôt que directement sculptés sur ordinateur), je me souviens avoir déjà trouvé certaines textures de peau étranges, un peu grisâtres ou trop lisses. Le rigging des modèles n'est pas d'une grande finesse, et l'animation manque régulièrement de naturel. Disons que l'image de synthèse se tenait bien… pour un film d'animation au budget très modeste, dans les années 2000 ! La progression de l’animation 3D a fini par faire carrément passer ce film dans la « vallée dérangeante », particulièrement pour ce qui est des personnages humains qu’on veut plus réalistes… 

Ça a presque aussi mal vieilli que les films Final Fantasy, dis donc…

On peut aussi reprocher au film un scénario qui ne brille pas par sa cohérence. Même à l’époque, de nombreux détails me dérangeaient. Par exemple vers la fin du film, le méchant veut se servir de sa machine dopée à la Dalamitt peut faire sortir des écrans de télévision ce qu'ils sont en train de montrer – présentement, les torrents de lave d'une émission sur les volcans. Nos héros le contrecarrent en zappant de force sur une innocente publicité pour du pop-corn (ce qui, semble-t-il, affecte TOUS les écrans de tout le monde !) ; une guerre des boutons de télécommande s'engage pour alterner rapidement entre les deux chaînes. Au cours de ce passage, on peut voir des gens ravis de recueillir à même leur écran des torrents de pop-corn ; mais le magma ne passe pas, quand bien-même il apparaît à l'écran une fraction de seconde ? Sa chaleur non plus ?

Surtout et de manière générale, la limite entre réalité et fiction dans le film n'a pas beaucoup de sens dès qu'on commence à y regarder de trop près. Qui continue de faire exister le monde de Gaya, quand la série n'est pas en cours de diffusion – un JT, à un moment du film, semble suggérer que le dessin animé passe en continu, comme de la téléréalité ? Aucune société de production ne tiendrait un rythme pareil ! Ou bien cela signifie-t-il que les épisodes normalement diffusés ne peuvent plus être tournés en l'absence des héros ? Mais c'est une série d'animation ! Comment l'état du monde fictif peut-il influencer ce qu'il est possible de faire ou non dans le monde réel ?
À un autre moment, les personnages vont rencontrer leur créateur, qui remarque que sortir de leur monde leur a donné un libre arbitre ; que pour la première fois ils prennent leurs propres décisions, plutôt que celles dictées par le scénario écrit par quelqu'un d'autre. Mais l'irruption du portail du méchant principal (on y revient plus loin) dans le monde de Gaya n'a pas été scénarisée par Albert, pas plus que la décision des personnages de se lancer à la poursuite de la Dalamitt ! C'est donc que certains éléments de leur monde ne sont pas déterminés par leur auteur, n'est-ce pas ?

Albert Drollinger (à gauche) est le créateur des personnages et de leur série,
dans la diégèse du film. Soit dit en passant, la scène arrive à citer Descartes,
ce qu'on ne voit pas souvent dans un film d'animation destiné à la jeunesse !

Et en parlant de ce portail et du plan du méchant principal du film… Le Professeur Legentil (c'est son nom) a créé une machine capable de donner réalité à la fiction. Si ce seul tour de force ne suffisait pas à faire de lui le plus grand génie de tous les temps, son invention pourrait résoudre en un tournemain tous les problèmes de pénurie de l'humanité, et même lui donner accès à tout ce qu'elle prendrait la peine d'imaginer et d'incorporer dans une histoire ! Mais au lieu de cela, il décide de s'en servir pour se venger des Aventures de Boo et Zino, qui ont remplacé à l'antenne son émission de vulgarisation scientifique. Et des téléspectateurs, tant qu'à faire, puisque ce sont eux qui ont exprimé leur préférence pour ce dessin animé. Faut-il qu'il y ait tenu, à son émission, pour que son sens des priorités soit altéré à ce point…

Notre savant fou s'empare de la Dalamitt. Peut-être fallait-il justement
qu'il ait complètement perdu la raison, pour réaliser de tels prodiges ? 

Néanmoins et malgré ses défauts , le film sait aussi se montrer inventif. Même s'il n'est pas exempt de tropes assez classiques, il arrive aussi à jouer sur les attentes du public (on y reviendra plus loin), et même sur son propre médium. Ses personnages hyper-stéréotypés par exemple, ne le sont pas par manque de créativité, mais parce qu'intra-diégétiquement ils ont été créés pour ça, afin d'être lisibles par le jeune public de la série. Le fait qu'ils sortent de leur monde est justement ce qui les autorise (voire les force !) à dépasser ou enfreindre les rôles qui leur étaient assignés. Au-delà du libre arbitre, sortir de leur monde les a surtout libérés du statu quo, de l'inattaquable fixité qui était nécessaire au format épisodique de leurs aventures. En d'autre termes : sortir de leur monde leur donne accès au développement de personnalité qui, jusqu'ici, leur était refusé.

D'abord, ce développement est crucial dans le climax du film, c'est ce qui leur permet de vaincre le savant fou. Celui-ci ne connaissant que les versions simplistes et gravées dans le marbre des personnages de la série, ils arrivent à le surprendre en faisant des choses auxquelles il ne s'attend pas, à commencer par s'entraider.

 

Spoiler!

Plus tard, Boo livré à lui-même arrive à jouer les héros dans une situation où il aurait typiquement besoin de Zino pour le tirer d'affaire ! Mais le meilleur exemple, je pense, est encore Galger. À un moment, il offre tout bonnement de s'allier avec le méchant. Son ton, ses expressions sont exactement ce qu'on verrait dans une scène de trahison de n'importe quel film de ce genre – et c'est un coup tellement typique du Galger que tout le monde connaît, que tout le monde y croit : le public, ses alliés et… le méchant, qui se laisse avoir car c'était une ruse !

 

Plus important encore, ce développement de personnage ne peut être effacé, ce statu quo brisé ne peut être rétabli. C'est pourquoi à la fin du film lorsqu'ils rentrent chez eux, les choses changent. Alanta s'oppose à son père pour de bon, au lieu que son désir de s'affirmer soit mentionné à chaque épisode sans jamais aller plus loin ; Zino a appris à laisser la place aux autres, et Boo s'est découvert un courage qu'il n'aurait lui-même jamais soupçonné. Quant aux Snurks, ils ont enfin eu l'occasion de jouer les héros sans pour autant devenir soudainement tout mignons et gentils. On peut supposer qu'ils y ont pris goût, et auront d'autres rôles que celui de faire-valoir…

Conclusion

Le monde fabuleux de Gaya n'a, malgré son titre, rien de vraiment fabuleux. Son scénario est d'une inventivité très inégale ; son animation, déjà limitée en son temps par le budget de cette petite production européenne, a mal accusé le passage des années ; quant aux character designs, même si j'ai des raisons toutes personnelles de les apprécier, je comprends tout à fait qu'on puisse carrément les trouver moches.

Rappelons qu'il est censé être beau gosse, dans son univers.

Je conserve pourtant beaucoup d'affection pour ce film, ne serait-ce que pour sa différence. On n'a clairement pas affaire à une œuvre underground, mais il a tout de même réussi à se faire en toute indépendance des géants Pixar, Dreamworks et BlueSky ; il a aussi fait le pari de ne pas pomper sur leur esthétique et de rechercher la sienne propre, pour le meilleur et pour le pire. Bref, ce n'est certainement pas un grand film d'animation, mais c'en est un qui a eu l'ambition de faire beaucoup avec très peu de choses, et ne serait-ce que pour cela, je salue son effort et son souci de se forger une identité bien à lui.

Commentaires