[Discussion] Parlons un peu de…

Posté le 02/05/2023 à 14h00 par Schumette
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Bonjour tout le monde ! Aujourd'hui, nous allons parler des films mi-live-action, mi-animation ! 

Si vous n'avez pas vécu dans une grotte ces dix dernières années, vous avez sans doute au moins entendu que Disney faisait des remakes en live-action de ses classiques d'animation. Mais cette appellation est-elle méritée ?

Minute, c'est quoi un live-action ?

Le live-action, aussi appelé « film en prise de vues réelles » est tout simplement la technique de réalisation cinématographique la plus courante, celle où l'on enregistre (le plus souvent en temps réel) une action par le biais d'une caméra. C'est la technique de prise de vues cinématographique la plus ancienne, et la plus courante en cinéma.
Par contraste, les films d'animation ne font pas de prise de vue en temps réel. Même lorsque l'on filme des objets pour les animer (Stop-motion ou pas-à-pas), on ne capture qu'une image à la fois, et on reconstruit ensuite la séquence animée à partir d'image fixes ; c'est la même chose pour les dessins animés image-par-image. Quant aux animations vectorielles, 3D, et informatiques en général, c'est un modèle articulé qu'on anime avec des images-clés et des images articulées.

Une distinction pas si évidente

La plupart des films utilisent exclusivement l'une ou l'autre ; cependant, cela fait très longtemps que des films live-action incluent des élements ou des séquences animées. Déjà, chaque fois que vous allez voir un film à grand spectacle avec des créatures en images de synthèse, il faut bien qu'elles soient animées ! Et on peut remonter plus loin que l'image de synthèse : pendant longtemps, les effets spéciaux pouvaient être réalisés en stop-motion avec des maquettes, comme dans L'Empire contre-attaque ou Jason et les Argonautes. Dans ce deuxième cas, c'est même un peu plus curieux pour certaines scènes : les monstres furent animés en pas-à-pas par Ray Harryhausen, puis les séquences étaient projetées de derrière un écran translucide que l'on filmait ensuite à nouveau, en faisant interagir les acteurs avec ces images projetées !

À l'inverse, des histoires animées peuvent inclure de la prise de vue réelle, même lourdement transformée. La rotoscopie par exemple consiste à filmer des comédiens, puis à dessiner des personnages par-dessus afin que les mouvements des seconds soient assez littéralement calqués sur ceux des premiers. Le Seigneur des Anneaux de Ralph Bakshi (1978) utilisait déjà cette technique pour les Uruk-Hai ; leurs mouvements n'étant pas les mêmes que ceux des autres personnages animés à la main, ils semblaient peu naturels mais cela peut accentuer leur côté terrifiant ! Plus récemment, A Scanner Darkly (2006) est entièrement réalisé en animation rotoscopée.

Scanner Darkly (2006)

En 3D, c'est le Motion Capture ou « Capture de mouvements » qui prend son essor. Cela consiste à filmer très précisément les visages et les corps d'acteurs, afin de s'en servir pour ancrer les mouvements de personnages en image de synthèse. Parmi les premiers films à utiliser cette technique, on peut nommer Le Pôle Express (2004) et La Légende de Beowulf (2007), qui ont hélas assez mal vieilli [sauf Le Pôle Express qui est et reste un chef-d'œuvre objectif en tous points, ndlc]. Plus récemment, la technique est utilisée dans Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne (2015). Elle est aussi indispensable dans les Avatar de Cameron, ainsi que dans la récente saga La Planète des Singes ou encore dans le Mowgli : la Légende de la Jungle d'Andy Serkis. Mais curieusement, ces films ont beau faire la part belle à des images de synthèse très travaillées, ils sont toujours considérés comme des films en prises de vue réelle. Peut-être parce que certains de leurs personnages ne sont pas ou presque pas retouchés de cette manière, mais on y reviendra plus loin…

Enfin, il se trouve des films qui arrivent à mêler à la fois des prises de vue réelles « pures » et de l'animation « pure », sans que l'une ne soit censée prendre le pas sur l'autre. Mary Poppins a marqué les esprits en 1964, en insérant ses personnages filmés dans un décor dessiné, avec des personnages animés à la main !

Mais bien évidemment, on ne peut pas parler de ces films hybrides qui se revendiquent aussi bien de l'animation que de la prise de vue réelle sans évoquer celui qui a codifié et popularisé le genre : Qui veut la peau de Roger Rabbit ?
Sorti en 1998, Qui veut la peau de Roger Rabbit ? mêle des humains et des toons dans le même univers. Il est tiré avant tout d'un livre nommé Qui a censuré Roger Rabbit ? qui quant à lui est paru en 1981.

Pour ce qui est du film, les toons ont été d'abord créés et incrustés dans l'histoire grâce à des images de synthèses composées par le studio ILM (studio de Georges Lucas). Mais au bout de quatorze mois, l'équipe s'est rendue compte que cela ne marchait pas correctement pour l'incrustation, et s'est donc rabattue sur des celluloïdes et une imprimante optique. Les animateurs ont utilisé des impressions en noir et blanc des scènes réelles comme arrière-plans, et ont placé des papiers d'animation par-dessus, afin de dessiner le personnage animé en relation avec les décors et acteurs réels. Pour garder le côté vivant du toon, les créateurs ont obligé les animateurs à dessiner Roger Rabbit de manière à ce qu'il soit sans cesse en train d'interagir avec le décor. 

Et ensuite ?

Après Roger Rabbit, nombre de films ont tenté de faire la même chose avec des résultats  mitigés. Space Jam en 1996 et sa suite en 2021 viennent à l'esprit, de même que Les Looney Toons passent à l'action en 2003. Dernièrement est aussi sorti le film Tic et Tac : les Rangers du Risque, mélangeant plusieurs genres d'animation et prises de vues réelles. Il se compare brièvement à Roger Rabbit et le personnage apparaît d'ailleurs au début du film, mais il n'est malheureusement pas du tout au même niveau que son ancêtre malgré les vingt-quatre ans de différence entre les deux. Déjà qu'il ne brille pas par son scénario, il accumule aussi les clins d'œil à l'animation en général jusqu'à l'excès, donnant un résultat très chaotique.

Dans le film, on fait plusieurs comparaisons entre animation 2D et 3D,
le plus souvent à l'avantage de la 2D. Cela a été perçu comme assez hypocrite,
car Tic n'est en fait même pas en 2D, mais en 3D avec du cell shading !

 Il souffre aussi d'un rapport ambigu à son propre médium en jouant la carte de l'auto-dérision, avec de nombreux gags sur les techniques d'animation. Le résultat est qu'il semble traiter le médium en général avec très peu de respect, là où Roger Rabbit voulait lui offrir une consécration. 


Des Remake ad Nauseam

Tic et Tac mis à part, Disney semble se faire une spécialité des remake en « live action » : La Belle et la BêteLa Petite SirèneLe Roi Lion… Mais c'est là qu'arrive un premier problème : pour un film de ce genre au cinéma, nous en avons quatre ou cinq sur la plateforme de streaming, de moins bonne qualité, qui semblent juste faits pour surfer sur la popularité : Pinocchio par exemple, ou La belle et le clochard !

Par ailleurs, on peut s'interroger sur la catégorie dans laquelle entrent ces films. Comme vous l'avez lu plus haut, la démarcation entre animation et live-action n'est pas évidente surtout quand l'image de synthèse s'en mêle. Si la plupart de ces films incluent quelques prises de vue réelles, la part d'animation reste très grande, ils exigent nombre d'animateurs et de techniques d'animation. Mais pourtant, les industries continuent d'appeler ça du live-action et refusent de les mettre dans la catégorie des films animés – comme si l'animation était « moins noble » et qu'il fallait s'en préserver ! Soyons sérieux deux petites secondes, et prenons l'exemple du remake live-action du Roi Lion, sorti en 2019. 

Il est très clair qu'il ne s'agit pas de vrai animaux, mais de lions composés en 3D dans un style réaliste pour les incruster dans un monde lui-même créé par ordinateur. Ce film est clairement un film d'animation, comme l'était son prédécesseur, la seule différence étant la technique d'animation : 2D dessinée contre 3D image de synthèse. Mais pourtant les critiques ne le voient pas ainsi et le désignent comme live-action. Disney affirme qu'il est différent du dessin animé, car « plus vrai et réel », mais pourtant tout est fait par des équipes d'animateurs. Comparons avec un film que l'on peut vraiment appeler live-action » : le Clan des rois (2004). Pour la création de film, l'équipe à passé plus d'un an en Afrique à filmer les lions, leur comportement et leurs habitudes. Toutes les images du film sont basées sur ces prises de vues réelles, à l'exception de la gueule des lions que l'on retouche pour les faire parler. Il n'y a rien d'autre d'animé dedans ! Quand on regarde les deux films, difficile de savoir qui est réel et qui est animé, mais pourtant l'un est un live-action et l'autre une animation, je vous l'affirme. 

Le roi lion (2019) / Le clan des rois (2004). En fait et paradoxalement,
on peut deviner que c'est celui de gauche qui est intégralement animé
par ordinateur, justement parce que tout est y est trop net, chirurgical.


Conclusion

Même si elles semblent à première vue séparées, animation et prises de vue réelles ont pourtant cheminé main dans la main pendant près de la moitié de l'histoire du cinéma. Il est de plus en plus absurde de vouloir les séparer, surtout quand la séparation entre les deux est si difficile à tracer. Elle semble plutôt tenir d'un tour de passe-passe intellectuel pour tenir le « vrai » cinéma à l'écart de l'animation, encore et toujours reléguée au rang de sous-genre qu'on laisse aux enfants, donc au supposé rebus intellectuel, pendant que les « vrais » adultes se délecteraient de « vrais » films.

Même si nombre de cinéastes comme Guillermo del Toro s'échinent à déconstruire ce cliché, le mépris reste tenace. Mais le plus étrange est encore de voir Disney s'y plier, quand cette même compagnie a révolutionné l'animation occidentale à de nombreuses reprises et continue de consacrer des budgets supérieurs au milliard de dollars à ses « classiques d'animation ». Pourquoi s'acharner à maintenir cette distinction, cette hiérarchie, et pourquoi renier leur marque de fabrique surtout lorsque c'est aussi peu crédible et pertinent ?

 

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