[Des Lumières sur la Toile] #6 – Ernest et Célestine

Posté le 19/04/2023 à 15h00 par Tumbleash
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Bonjour tout le monde ! Malgré le printemps qui revient, nous allons aujourd'hui parler d'un film qui commence en plein cœur de l'hiver. C'est parti pour Ernest et Célestine !


Résumé :

C’est l’histoire d’un petit village, ou plutôt deux : Le village des Ours, qui surmonte le village souterrain des Souris. Les deux sociétés dépendent l’une de l’autre, mais les souris et les ours ne se mêlent pas – les premières voient les seconds comme des monstres prédateurs, les ours considèrent les souris comme des proies ou des nuisibles.
Chacun vit donc sa petite vie de son côté : les souris subsistent à l’aide des dents des ours, qu’elles récoltent et retaillent pour en faire toutes sortes d’objets (y compris des prothèses de dents !), les ours vivent plutôt comme des humains mais apprécient de trouver de temps en temps une pièce offerte par les souris en échange de leurs dents de lait.

Deux exceptions à cette règle : Célestine est une souris qui n’a aucune envie de devenir dentiste ou récolteuse de dents, et préfère le dessin ; Ernest est un ours qui vit seul à l’écart du village, avec très peu de choses, et gagne parfois quelques sous en tant qu’homme ours-orchestre. Du moins, quand la police ne vient pas lui confisquer ses instruments et lui mettre des amendes pour trouble à l’ordre public…
Suite à un malentendu, ces deux exclus se retrouvent à séjourner ensemble pour échapper aux polices de leurs sociétés respectives. Ils se trouvent vite bien plus de points communs qu’avec leurs semblables, qui ne les ont jamais regardés qu’avec mépris et ne leur adressent la parole que pour leur donner des ordres ou leur faire des réprimandes. Mais après avoir passé quelques bons moments ensemble, Ernest et Célestine se rendent compte qu’on a retrouvé leur trace, et que l’on ne remet pas si facilement en cause des années de mode de vie incrusté dans ses traditions et ses clichés. C’est vrai, quoi, si on se met à penser autrement, où va le monde ?


La ville des ours ressemble à un village typique de la campagne
belge ou française ; celle des souris, en revanche, évoquerait un
mélange souterrain entre Londres et les vieux quartiers de Paris.

Autour du film

Ernest et Célestine est avant tout une série de livres jeunesse écrits et dessinés par l’auteure belge Gabrielle Vincent, de 1981 à 2000.
C'est Benjamin Renner (dont on reparlera probablement à l'avenir) qui signe cette adaptation en 2012, aux côté de Vincent Patar et Stéphane Aubier. À la production, on retrouvera entre autres Didier Brunner, producteur spécialiste des films d'animation dont le nom risque aussi de revenir. L'écrivain Daniel Pennac signe la première version du scénario avant qu'il ne soit retravaillé, et la musique est assurée par le jazzman Vincent Courtois, tandis que les paroles des chansons sont écrites par Thomas Fersen. Enfin, c'est l'animatrice Seï Riondet qui a réalisé la plus grosse part du design de personnages, en particulier pour les personnages secondaires (plus de 170 !) et tous les costumes que portent nos deux larrons.

Le film ne reprend pas directement l’histoire des livres, et se veut plutôt un hommage et une introduction à cet univers ; il sert aussi en quelque sorte de « pilote » à une série télévisée, Ernest et Célestine, la collection, de 52 épisodes de 13 minutes diffusée sur France 5 depuis 2017. C'est l'un des premiers représentants d'un style d'animation qui se popularise ces dernières années : le « tradigital » ou « tradinumérique », un style d'animation numérique – ici, Flash – image-par-image ou vectorisé qui donne l'illusion de techniques traditionnelles – ici, de l'aquarelle pour donner l'impression de plonger dans les illustrations de Gabrielle Vincent.

Des aquarelles dans un film numérique inspiré
d'aquarelles… c'est donc ça, l'avant-gardisme ?


J’aime beaucoup Ernest et Célestine, aussi je perdrai dans ce qui va suivre tout semblant d’objectivité. C’est une histoire en apparence simple et classique : « deux personnages qui cohabitent et sympathisent alors qu’ils n’auraient jamais dû se rencontrer », mais c’est écrit avec beaucoup de subtilité et met en évidence nos mécanismes ô combien trop fréquents d’exclusion de l’autre, et de refus d’ouverture sous prétexte que « on a toujours fait comme ça, ça veut dire que c’est pas la peine de changer ». Ce message d’ouverture sur autrui, certes sans grande originalité est porté avec finesse et intelligence, sans qu’on ait l’impression de se faire prêcher un dogme. Et puis mieux vaut dix films qui disent de s'ouvrir à l'inconnu, qu'un seul dont la morale serait « restons entre nous, ailleurs y'a rien à voir », pas vrai ? (Les chansons folkloriques naines ne comptent pas).

La maison d'Ernest ouverte aux quatre vents est
aussi la seule qui daigne s'ouvrir aux étrangers.


Au cas où ça ne vous convaincrait pas, voici encore quelques raisons de regarder Ernest et Célestine : pour sa beauté visuelle et son message, on l'a déjà dit, mais aussi pour sa musique qui s'intègre harmonieusement à la narration et fournit même un motif à des expérimentations visuelles ; plutôt que d'avoir seulement une musique qui sert son film, c'est le film qui, par moments, accepte de se laisser entraîner par elle.
On peut aussi le regarder pour ses dialogues simples et efficaces quand c’est nécessaire, plus élaborés et piquants, aux sarcasmes discrets mais vifs, bref des dialogues brillants dont on sent qu’ils sont écrits par un écrivain.
On peut aller le voir pour ses personnages très attachants, aux expressions qui changent des canons de Disney en n’étant pas moins vivantes et communicatives.
Sans oublier le côté local : il n'est pas indispensable d’importer des productions des États-Unis ou du Japon sous-traitées en Corée du Sud pour passer un bon moment, car c’est un film franco-belgo-luxembourgeois, adapté d’une BD belge. (Je manifeste tout mon respect aux Québécois et Suisses francophones qui sembleraient exclus de la proposition précédente, ça n’est pas mon intention. On vous frenche.)

On peut reprocher au film sa fin à laquelle on pouvait s’attendre – encore qu’il y ait quelques surprises en chemin – mais franchement, quel film d’animation jeunesse a une fin vraiment imprévisible ? Je sais qu’il y en a, bien sûr, mais ça n’est pas une majorité. Ajoutons d'ailleurs que rien n'oblige à s'arrêter au film seul, puisqu'il a eu droit à une suite en 2022 avec Le Voyage en Charabie, sans oublier la série ! Si vous avez envie de la regarder avec vos enfants, frères/sœurs, cousins et cousines, le film introduit les personnages avec brio et une histoire complète, pour ensuite continuer avec des épisodes plus courts ou les livres de Gabrielle Vincent. Un film qui pousse à lire des histoires du soir, c’est pas beau ça ? 


Conclusion

Ernest et Célestine est un film qui s’adresse aux enfants sans les traiter comme des tout-petits, qui laisse les adultes redevenir des enfants pour le visionner. C'est un film à la réalisation fluide, aux personnages multidimensionnels et attendrissants, et à l’histoire simple mais pas simpliste, en un mot : essentielle.

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