[Des Lumières sur la Toile] #3 – Le Géant de Fer

Posté le 29/03/2023 à 15h00 par Tumbleash
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Bonjour tout le monde ! Revoyons ensemble un classique d'animation et un film qui a marqué une bonne part de mon enfance, avec Le Géant de Fer de Brad Bird, sorti en 1999 !

Résumé :

1957. Les journaux ne parlent que du satellite Spoutnik 1 lancé avec succès par les Soviétiques. Mais en-dehors de ça, la vie suit tranquillement son cours dans la petite ville de Rockwell, dans le Maine (États-Unis). Jusqu'à ce qu'un jour, un pêcheur local affirme avoir vu un OVNI s'écraser non loin de la côte ! Personne ne le croit… sauf Hogart, un gosse de neuf ans élevé par Annie Hughes, veuve surchargée de travail. Hogart Hughes est un garçon très vif mais très seul, qui cherche par tous les moyens à se tirer de l'ennui qui l'accable dans ce trou perdu. Un soir, il décide de partir à la recherche du fameux OVNI… Et le trouve ! Il s'agit d'un immense robot, qui se nourrit de métal !

Malgré sa taille, le géant est d'un tempérament très doux. Hogart parvient assez vite à communiquer avec lui, et apprend que le géant est amnésique. Une amitié naît entre les deux, mais Hogart doit vite cacher le géant de peur de déclencher une panique. Il arrive à se faire un allié de Dean McCoppin, le ferrailleur, qui accepte de cacher et nourrir le géant. Mais un certain Kent Mansley qui travaille pour le gouvernement vient fourrer son nez partout et surveille Hogart d'un peu trop près… Quant au Géant lui-même, tout n'est pas clair non plus. Qui est-il vraiment ? D'où vient-il ? Et est-il vraiment inoffensif ?


Autour du film

Cette histoire était à l'origine un livre jeunesse de l'anglais Ted Hughes, intitulé The Iron Man, paru en 1968. Déjà à l'époque, c'était un livre pour enfants inhabituel, puisqu'il avait pour but de parler de la mort et du deuil – Hughes l'avait écrit pour aider ses propres enfants à continuer d'avancer après le suicide de leur mère. Par la suite, le leader du groupe The Who Pete Townshend a projeté d'en diriger l'adaptation en opéra-rock (qui en est resté à l'état d'esquisse, mais on peut encore en trouver un clip), puis la Warner Bros. a acheté les droits pour l'adapter en animation, avant que le projet ne reste au point mort pendant plusieurs années. 


Les couvertures de plusieurs éditions du livre.
Les dernières sont illustrées par Chris Mould.

C'est Brad Bird (à qui on devra plus tard Les Indestructibles) qui reprend le projet en 1996, avec une idée bien à lui : « Et si une arme avait un âme, et choisissait de ne plus être une arme ? » Cet angle particulier serait inspiré de la mort de sa propre sœur, Susan Bird, assassinée à l'arme à feu par son mari…
C'est pourquoi le film extrapole beaucoup par rapport au livre et beaucoup d'éléments (à commencer par l'époque) sont considérablement changés. Même le titre a été modifié. Néanmoins, Ted Hughes – mort peu avant la sortie du film – a pu lire la dernière version du scénario, qu'il aurait beaucoup appréciée ; et à sa manière, le film développe lui aussi des thèmes très sombres en les rendant accessibles aux enfants.

D'un point de vue technique, Le Géant de Fer est une performance étonnante. Réalisé en un temps record sur un budget dérisoire avec une équipe montée au pied levé, il a pourtant une animation très qualitative et surtout extrêmement novatrice. Les expériences avec la 3D dans des dessins animés se faisaient déjà depuis les années 80, Toy Story pour ne citer que lui sortait dès 1995, mais Le Géant de Fer est le tout premier film d'animation 2D à inclure un personnage exclusivement animé en 3D. Et ça marche ! Le géant s'intègre avec fluidité dans l'environnement du film. L'équipe d'animation a même poussé le perfectionnisme jusqu'à créer un programme qui, justement, ajouterait des imperfections au rendu du Géant, déformant une ligne ici, étirant un contour là, afin de renforcer l'impression qu'il était animé en 2D à la main comme les autres personnages. 

On rappelle qu'à cette époque le cel-shading, si utile de nos jours
pour donner un aspect cartoon à des modèles 3D, n'existait pas !

Le Géant de fer a énormément marqué mon enfance, il fait partie des quelques cassettes que j'ai le plus vues et revues en boucle dans ma chambre, à l'époque où le magnétoscope de mes parents y avait atterri (allez-y, blaguez sur mon âge ça ne m'affecte même pas).
Le dit magnétoscope ayant fini par rendre l'âme, je l'ai laissé de côté pendant longtemps avant de le revoir ; plus qu'une plongée dans le passé, j’ai alors redécouvert un film dans lequel nombre de détails m’échappaient, il y a plus de quinze ans.
J'ai d'abord pu apprécier son étonnant travail esthétique, cette reconstitution minutieuse des années 50 aux États-Unis, avec ces voitures, ces diners, cette musique et les séries B que regarde Hogart. Le géant lui-même a un design qui nous semble rétro, mais serait tout à fait d'époque dans le film, semblant sortir tout droit d'un des magazines de comics d'Hogart !

Cette pub pour un jouet apparait dans le journal de Dean au début du film.
Mystérieusement, elle disparaît du journal deux plans plus loin…

Mais le tour de force du film est qu'il ne se contente pas de se réfugier dans la nostalgie. Il dresse surtout un portrait sans concession de l'Amérique de la guerre froide pendant les années McCarthy, et le vernis se craquèle très vite pour révéler le profond malaise, l'angoisse étouffante qui imprègne tout et tout le monde : peur des bombes, peur des communistes ou des extra-terrestres – fonctionnellement, c'est la même chose. Douze ans à peine après la fin de la seconde guerre mondiale, et trois après que se soit finie celle de Corée (où le film sous-entend que le père d'Hogart a laissé la vie), militaires comme civils semblent n'attendre qu'une chose : le prochain conflit. Et alors que la course à l'espace commence, la science-fiction dont s'abreuve Hogart présente toujours les merveilles de l'univers sous le même prisme : la guerre, les envahisseurs venus d'ailleurs pour nous anéantir, la terreur qui surgit de l'inconnu. Regarder vers les étoiles, oui, mais en restant au garde-à-vous…

Mars -> Marx, Planète rouge
Coïncidence ? ÇA M’ÉTONNERAIT !!!

Derrière le glacis se dessine petit à petit une société profondément malade, qui a passé les dernières décennies à se construire une unité (d'ailleurs toute relative) par la guerre, et n'arrive plus à en sortir. De ce point de vue, l'un des personnages les plus intéressants est sans doute le méchant du film. Kent Mansley, avec ses délires paranoïaques et ses méthodes détestables, n'a pourtant rien d'un monstre. Il est ni plus ni moins qu'un pur produit de son milieu. Il incarne même l'homme idéal selon les valeurs de son époque : paternaliste, nationaliste, xénophobe et ultra-conservateur, convaincu qu'il est parfaitement légitime de broyer les individus au nom du bien de la nation.

En même temps, le gamin a un pull rouge et noir, c'est suspect ! 

Face à ce va-t-en-guerre si propre sur lui, bien habillé et coiffé comme le gendre idéal, les héros sont au contraire ceux qui s'intègrent moins bien dans cette société faute de rentrer dans son moule stéréotypé : un gamin trop mature pour son âge et qui grandit sans figure paternelle ; sa mère qui faute de mari passe moins de temps au foyer qu'au travail ; Dean, le ferrailleur beatnik qui vit à l'écart de la ville et s'efforce d'être « solidaire avec les dingues » (et il y aurait encore beaucoup à dire sur ce paria et les symboles qu'il colporte) ; sans oublier bien entendu le Géant lui-même, étranger total venu de l'espace et littéralement une arme de destruction massive ambulante, le méchant conventionnel de n'importe quel scénario de SF basique. Quelque part, ce film préfigure la formule qu'emploiera plus tard Guillermo del Toro (lui-même grand fan du Géant de Fer) dans La Forme de l'Eau…

« Non, pas Atomo… Moi Superman ! »

Plus qu'un film à l'animation remarquable, Le Géant de Fer est une histoire bouleversante parce qu'elle présente deux amis qui, sans même se connaître, avec toutes les raisons de se craindre l'un-l'autre et dans une société qui ne pense qu'à la guerre, la méfiance et le repli sur soi, font le choix de la paix, l'entente et l'amitié.


Et vous, que pensez-vous de ce Bon Gros Géant venu du ciel ?

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