[Analyse] – Spécial Halloween : le Côté Obscur de la G5 (Partie 1/3)

Posté le 31/10/2021 à 19h00 par Tumbleash
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Nighttime Nightmare Stories par HinuHoshi-to-Darkpen

Bonjour tout le monde ! Comme on n'aura pas manqué de vous le répéter, c'est aujourd'hui Halloween, ainsi que la période de la Fête des Morts et de la Toussaint. Comme chaque année, l'ambiance est aux décorations et costumes qui font peur, et comme l'année dernière, je vous propose un petit exercice d'analyse autour de l'univers de nos chers poneys.
Le but est de gratter un peu sous la surface, afin de trouver des éléments qui, si l'on extrapole un peu, deviennent dissonants, inquiétants ou même carrément horrifiques. Après tout, un monde magique où tout est possible, même le meilleur, laisse aussi beaucoup de place au pire…


Hi, new friend ! par zoarvek

Attention : Je précise tout de suite que cet article est assez long, c'est pourquoi il sera coupé en trois parties, publiées sur trois jours à partir d'aujourd'hui.
Je précise également que cette année exceptionnellement, du fait de la sortie relativement récente du film My Little Pony : Nouvelle Génération, l'article se concentrera sur des éléments du film. Il y aura de gros spoilers pour les quelques personnes parmi vous qui ne l'ont pas encore vu, spoilers qui ne seront pas masqués. Je vous recommande donc de le regarder d'abord avant de lire ce qui suit.

C'est bon ? Tout est prêt ? Vous vous êtes bien rempli la tête de jolies chansons et d'images colorées ? Parfait ! C'est le moment de plonger dans les ténèbres… Que se cache-t-il dans l'ombre de l'Équestria de la G5 ?

 


 

Partie I : Un peuple écrasé par la peur

Le thème le plus récurrent du film est sans doute celui-ci : le peuple des poneys, autrefois uni dans l'harmonie, est maintenant divisé en trois communautés fermées, sans contact avec les autres et dans une peur constante. On ignore depuis combien de temps les choses sont ainsi, mais cela fait assez longtemps pour que le souvenir d'un monde plus amical ait disparu de toutes les mémoires, que cette idée même soit inimaginable. À l'exception de quelques originaux qui tentent, à force de recherches, de déterrer la vérité, tout le monde se contente de lieux communs aussi faciles à retenir qu'à répéter. Avant de chercher comment Équestria est tombée si bas, intéressons-nous d'abord à la forme que prend cette culture de la peur, et les conséquences qui en découlent.

Que l'on vive chez les Pégases, les Licornes ou les Terrestres, qui ont tous leur culture propre, une chose ne change pas : l'autre, l'étranger est toujours une menace et un ennemi à redouter. Pourtant, aucun poney n'a de preuve pour étayer cette opinion, faute d'avoir déjà rencontré un membre d'une autre ethnie, mais il n'y en a pas besoin. Cette xénophobie farouche pénètre en effet tous les niveaux de la culture dans les trois communautés.

Non représentés : les préjugés et stéréotypes présents dans le langage courant.


Elle est enseignée à l'école aux jeunes poulains, et ne fait ensuite que se renforcer en dominant l'espace public (patrouilles de gardes constantes, posters de propagande), la culture (films de monstres), l'économie et la production (l'usine Canterlogic) ou encore la spiritualité (les superstitions des licornes incluent les rencontres avec les étrangers). Il est impossible de ne pas s'y confronter, à tel point que dans le temps qu'il lui a fallu pour rencontrer Izzy, Sunny Starscout pourtant plus instruite que la moyenne a intégré et intériorisé tous les clichés sur les licornes et leurs pouvoirs. Et elle n'est pas la seule !
Chaque individu, quel que soit l'environnement dans lequel il se développe, apprend donc dès son plus jeune âge à craindre et honnir ce qui vient de l'extérieur, censément pour être préparé à se défendre quand cet ennemi fantasmé arrivera. Mais est-ce bien le cas ?

 

Force est de constater que cette paranoïa à but préventif n'est pas très efficace. Les Terrestres sont pris de panique à la vue d'une licorne, capturée par chance et aisément libérée, les Pégases ne sont guère plus courageux, ni leurs gardes très professionnels. Quant aux Licornes, leurs superstitions qui frisent l'obscurantisme sont un handicap évident.
Pourquoi tous ces éléments subsistent-ils malgré leur flagrante inefficacité ? La réponse, pour moi, tient au fait que leur inutilité n'a jusqu'ici jamais été éprouvée, puisque la menace elle-même n'est pas réelle. Élevés toute leur vie dans la peur de chimères, les poneys ne peuvent se rendre compte que leurs contre-mesures sont absurdes. La question de savoir comment elles ont pu apparaître sera abordée plus loin, et pour l'instant, nous allons nous pencher sur les effets directs de cette peur institutionnalisée. En effet, bien loin de protéger les poneys, elle a d'autres conséquences néfastes, la première d'entre elles étant de rendre la population très susceptible aux dérives autoritaires…



Symétrie, angles droits et couleurs complémentaires… Sprout a beau
débuter dans la dictature, il connaît indiscutablement ses classiques.


On pourrait évoquer la Reine des Hauts-de-Zéphyr, qui entretient volontiers la peur d'une menace extérieure chez ses sujets pour leur faire avaler un véritable mythe national, selon lequel (ce qui suit n'est pas un jeu de mot) le pouvoir de voler serait réservé à la caste régnante, mais pour le bien de tous ! Bien évidemment, ce privilège est ce qui leur permet de protéger le bon peuple, et non de justifier un statut social supérieur, immuable et très confortable.
Oui, on le pourrait.
Mais bien sûr, vous avez tout de suite pensé à Sprout !
Voyons un peu quelle est la trajectoire de son ascension. D'abord simple adjoint pas très compétent, toujours dans l'ombre d'un shérif respecté, il profite d'un vide de pouvoir durant une situation de crise pour se poser comme la seule figure d'autorité qui préservera l'ordre établi face au chaos menaçant. Puis, contrairement à sa mère, qui est pleine de préjugés mais cherche sincèrement à protéger la population, Sprout se laisse très vite emporter par sa position d'autorité ; il attise les peurs et les haines des citoyens, les soumet à son délire va-t-en-guerre et mégalomane, avant de tout bonnement s'autoproclamer Empereur de la Baie de Port-Poney, et de déclarer la guerre aux autres ethnies.



Selon Imalou en personne, le dictateur Mouammar
Kadhafi serait l'une des sources d'inspiration.

 

Ça fait de lui le méchant puisque la guerre c'est pas gentil, on n'en doute pas une seconde, mais attendez un peu. Qui lui accorde tout ce pouvoir ? Les citoyens. Éduqués à la peur depuis leur enfance, ils sont complètement démunis lorsqu'Izzy vient matérialiser leurs pires cauchemars, et que toutes leurs jolies mesures de défense sont insuffisantes à arrêter la « menace. » Comme toute population d'individus pas très autonomes, qui craignent pour la sécurité des leurs mais ne savent pas comment réagir, ils vont se tourner vers un élément stable en la figure d'autorité la plus proche : le shérif, et à défaut du vrai, on se contente de Sprout. Celui-ci annonce clairement la couleur dans sa chanson (florilège de la VO et VF) : « Des étrangers viennent nous envahir […] Il y aura des vols, des cambriolages, […] Vous n'avez pas même un picotin, vous avez peur des lendemains, tout se passera sans problème si vous suivez mes ordres sans discuter… » et j'en passe ; des propos qui n'ont rien à envier à la prose typique de certains partis nationalistes d'aujourd'hui comme d'hier, que je ne nommerai pas car ce serait leur donner une visibilité que je leur dénie.

Toujours est-il que ces propos font mouche : la peur traverse chaque fibre de l'être de ces petits poneys, et c'est cette peur que Sprout vient titiller. Il attise aussi le rejet de la différence (y compris au sein du groupe, qui se doit d'être monolithique : « Soyons fiers de cette pensée unique »), la réaction émotionnelle plutôt que la réflexion, et parvient à transformer les paisibles poltrons de Port-Poney en une « foule furieuse » qui apprend admirablement vite à marcher au pas. Il est amusant de constater que nombre d'éléments de sa chanson, de cette situation et plus généralement de l'idéologie dominante chez les poneys (toutes ethnies confondues) rappellent fortement l'analyse des prises de pouvoir qu'Umberto Eco nous livre dans son essai Reconnaître le fascisme
Bien sûr, sachons raison garder : Sprout n'est pas fasciste à proprement parler, ni personne d'autre dans ce film ! Toutefois, sans abuser du terme, il est toujours bon de se souvenir combien de dictateurs se sont emparés du pouvoir sans faire usage direct de la violence.
Ici, Sprout n'accomplit pas un exploit. Il avance en terrain déjà conquis, parmi des gens vulnérables à qui l'on n'a jamais appris le courage, ce qui inclurait le courage de prendre ses propres décisions. Personne ne vient donc discuter ses ordres, y compris lorsqu'il s'autoproclame Empereur : ils ont peur, et sont prêts à accepter n'importe quoi pour que la peur s'en aille, y compris à sublimer cette peur en sentiment belliqueux sous les ordres du premier cinglé venu.


Comment a-t-on pu en arriver là ? Certes, l'éducation y est sûrement pour beaucoup, mais comment cette culture xénophobe et conservatrice, terreau si fertile pour l'émergence d'un despote, est-elle apparue en premier lieu ? Quel cataclysme a pu faire s'effondrer la mentalité de l'harmonie ?
Sur ce point, nous en sommes réduits aux conjectures, mais pour moi une hypothèse émerge : une guerre civile. Un conflit généralisé qui déchirerait Équestria, montant les ethnies les unes contre les autres.
Le final de la saison 9 nous a montré que malgré plus de mille ans d'histoire commune, l'unité et l'amitié n'allaient pas de soi en Équestria : les efforts de Chrysalis pour diviser les ethnies ont fonctionné sur un laps de temps très resserré, et sans l'intervention des Cutie Mark Crusaders et des Young Six, l'union n'aurait pas triomphé. Rien n'interdit de penser qu'une situation drastique aurait pu recréer les mêmes conditions par la suite.

On s'est beaucoup interrogé, par exemple, sur le devenir de Twilight Sparkle, princesse virtuellement immortelle, une fois que ses meilleures amies auraient rejoint leurs ancêtres… Et non seulement elles, mais aussi les parents de Twilight, ses disciples, son frère, en bref tout son petit monde à quelques exceptions près.


Memories par ConfettiCakez

Si Twilight, poussée à bout, en venait à abdiquer, le pays et son peuple seraient laissés livrés à eux-mêmes, un état d'anarchie qu'ils n'ont jamais connu ; et le poney moyen de la G4 n'est pas tout à fait un modèle de raison et de retenue. Si quelques meneurs raisonnables et compétents (ou pas) pouvaient préserver un semblant d'ordre, ils n'auraient probablement su le faire qu'à petite échelle, causant à assez court terme un fractionnement du pays. C'est quelque chose qui se produit souvent, lors de la disparition brutale de la tête du pouvoir dans un modèle où celui-ci est centralisé : témoins, la chute de l'Empire Romain d'Occident, ou celle du Bloc de l'Est.
Dans un tel chaos, chacun est tenté, voire forcé, de veiller d'abord à ses intérêts et ceux de sa communauté quitte à ce que cela se fasse au détriment de l'extérieur. Dans ces conditions, la division des ethnies d'avant la fondation du pays aurait pu refaire surface sur la base d'accointances culturelles, accompagnée de conflits allant s'aggravant dans le temps. À terme, cela aurait pu éclater en une guerre généralisée, un évènement si traumatisant qu'il aurait laissé Équestria définitivement en lambeaux, et marqué l'inconscient collectif des survivants et de leur descendants pour les générations à venir.

De fait, des indices dans le film vont dans ce sens : la propagande des Terrestres mentionne une guerre dans le passé, que les Terrestres auraient largement gagnée bien entendu ; les Pégases, qui rencontrent si peu d'étrangers que l'arrivée de Sunny et Izzy est un évènement, restent ouvertement militarisés ; en outre, une intéressante vidéo (en anglais) nous apprend que si l'on superpose un fragment de carte de la G5 avec celle de la G4, les Hauts-de-Zéphyr se trouveraient pile à l'emplacement de… Canterlot ! Une conquête de cet ancien fief des licornes aurait ainsi forcé celles-ci à s'exiler à Bridebois. Pour finir, l'attitude générale des poneys Terrestres vis-à-vis de la guerre que Sprout cherche à mener, me semble encore le confirmer : les citoyens de la Baie n'ont clairement pas envie de se battre, ils redoutent l'affrontement, mais ils sont prêts à passer outre si on les persuade que c'est le seul moyen de protéger leurs familles.

Dans un curieux retournement de mentalité, ce qui motive les habitants à se mettre collectivement en danger est précisément cette crainte pour leur sécurité, celle des leurs, et la pression du groupe sous l'impulsion du leader. Un sans-faute d'irrationalité, mais c'est précisément le propre des traumatismes enfouis que de court-circuiter la raison. Dans le cas présent, ce traumatisme serait justement cette guerre fratricide, qui aurait motivé les premières formes (alors socialement justifiées) de ce repli sur la défensive et sur l'entre-soi paranoïaque, avant que le temps n'occulte l'évènement et fasse dégénérer ces mesures, désormais détachées de leur origine devenue tabou. Un tabou qui, sans être connu consciemment, modèle pourtant les mentalités en transpirant encore dans toutes les facettes de la culture et du quotidien.

Voilà une manière de résumer la situation politique, mais vous pourrez me formuler une objection de taille : que faire des Windigos ? Le final de la saison 9 montre que ces créatures issues du mythe fondateur d'Équestria ne sont pas qu'une métaphore. Une telle guerre ne manquerait pas de les attirer, et alors l'espèce des poneys serait condamnée ?


Windigos par Vildtiger

Justement, on y vient ! Le synopsis du film, en effet, ne mentionne pas seulement la division du peuple équestre. Il parle aussi de la perte de la magie, et c'est ce second élément que nous allons analyser… dans la seconde partie de cet article !

Alors, à demain, même heure pour la suite !

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