[Analyse] – Essai - Les Noms de famille en Équestria - partie 3/3

Posté le 06/05/2021 à 18h00 par Tumbleash
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Solid Class Spike par The-Wizard-of-Art

Salut salut ! Comment ça va, depuis la dernière fois ? Nous attaquons le troisième et dernier chapitre de cet article sur les noms et les familles, avec une petite étude de cas.

Pour rappel, dans la première partie, nous avons déterminé que les poneys avaient presque tous un nom unique, même lorsqu'il est constitué de plusieurs mots. Nous avons aussi vu que ces noms nous étaient probablement inconnus dans leur langage originel : celui des poneys. Enfin, nous avions remarqué que des thèmes récurrents semblaient émerger et se transmettre des parents aux enfants, faisant office de nom de famille.
Dans la seconde partie, on a identifié deux grands modèles de noms : le modèle "aristocratique" qui, à la manière d'un blason, sert aux élites à retracer et mettre en valeur leur lignage à travers un complexe système de motifs et de demi-sens ; et le modèle "populaire", qui recherche la simplicité et la clarté pour maintenir l'union familiale.
Mais ces modèles n'expliquent pas tout, d'autant qu'ils présentent des faiblesses et sont parfois contre-productifs. C'est pourquoi nous allons étudier ici comment ils ont pu être progressivement abandonnés, sans pour autant disparaître complètement.

 

III- Un système depuis longtemps dépassé, dont il ne subsiste que des traces

a) La dislocation du modèle aristocratique, et ce qu'il en reste

Nous avons décrit le modèle aristocratique comme une sorte de "synthèse" de l'ascendance d'un individu. Son nom exprimera une partie de ceux de ses parents, comme si on les avait "mélangés".
Fonctionnellement, cela reposera probablement sur la structure de la langue, et de l'écriture à base de caractères exprimant des idées complètes. Les multiples lectures et combinaisons de ces caractères permettent moult manières d'exprimer ou de recombiner ces idées, un exercice difficile mais auquel les gens bien nés seront foulés, et qui leur permet d'identifier facilement parmi eux les imposteurs et les parvenus qui ignorent les mystères de ce système de noms.
Seulement, ce modèle présente une faiblesse majeure : à mesure que l'on remonte dans les générations, le nombre d'ancêtres dont il faudrait sauvegarder une partie du nom augmente exponentiellement. On est forcé, tôt ou tard, d'en laisser certains de côté, sans quoi la complexité du nom de leurs descendants deviendrait ingérable.
Il faut donc régulièrement opérer des choix, des allègements, durant lesquels une partie des motifs héréditaires que l'on pourrait choisir d'utiliser, va devoir passer à la trappe. Dans la vraie vie, c'est ce que l'on fait chaque fois que l'on choisit de porter un nom de famille plutôt qu'un autre.
Mais qui choisir, alors ? Le père, la mère ? Des cousins, peut-être, s'il est plus prestigieux de se voir associer à une autre branche plus prospère de la famille ?
Cette nécessité de faire des "coupes" répétées dans l'arbre généalogique, du moins pour autant qu'on l'exprime dans un nom, induit que la lignée n'est finalement pas si importante. Ou plutôt, si, elle l'est, mais dans un contexte bien particulier : la haute-société de Canterlot (et d'ailleurs), qui s'apparentera ni plus ni moins à une cour royale. Dans ce genre de monde, le prestige social fait tout. Aussi, ses membres chercheront à mettre en avant les parties les plus glorieuses de leur lignée ; et dans ce but, les règles de la généalogie peuvent acquérir une certaine souplesse.


Si la petite protégée d'une princesse, sa baby-sitter, son simple militaire de
frère, et le rejeton de ces deux derniers dont personne n'arrive à expliquer
l'existence finissent tous sur le trône avant même un membre de la famille régnante
qui s'appelle "Prince Sang-Bleu", le laxisme de ces règles ne doit pas dater d'hier.


Faisons maintenant un détour par la fantasy plus conventionnelle et les sagas épiques d'autrefois. On y rencontrera des personnages (rarement féminins) se présentant comme "Untel, fils d'Untelautre". Le reste de la lignée est habituellement ignoré, mais il est fréquent que mentionner le père soit important, surtout lorsqu'il a accompli des exploits dans son existence qui l'ont rendu mémorable, et donc facile à identifier.
Des exploits, vous dites ? Comme "sauver Équestria plusieurs fois par an et Ponyville plusieurs fois par mois, quitte à sauter le petit-déjeuner" ?
On s'avance un peu dans la réflexion, mais le fait est que nos héroïnes ont accompli nombre de hauts faits à un âge encore tendre. Rien n'interdit de penser que c'était possible bien avant leur époque. Auquel cas, des membres d'une famille soucieuse d'améliorer son image ont tout intérêt à souligner leur lien avec la petite dernière, héroïne nationale depuis qu'elle a sauvé le prince héritier des griffes d'un dragon (c'est un exemple au hasard), plutôt qu'avec des ancêtres lointains et poussiéreux ; peu importe qu'ils aient fait de grandes choses en leur temps, cela n'aura pas le même impact, surtout si tout le monde les a oubliés.
À partir de là, le modèle aristocratique des noms aura évolué de sorte à permettre une sorte de filiation à double sens. Cela permet à un individu de se présenter facilement, et avec élégance comme "père/mère/oncle/grand-mère/cousine de...", rien qu'en donnant son propre nom d'une façon particulière exprimant au mieux les éléments de sens qui facilitent le rattachement à un membre glorieux de la famille.

Belle affaire, mais la société Équestre a changé. Elle n'est plus féodale, les trois ethnies sont à peu près unifiées, et s'il y a encore des princesses et une cour, cette dernière n'est plus l'endroit où se concentre l'essentiel du pouvoir politique. En plus, si vraiment on ne transmet que certains éléments de noms, et que l'on a tendance à privilégier ceux qui présentent le mieux, alors d'autres sont progressivement écartés et disparaîtront. Après quelques générations, la réserve d'éléments de nom courants décroîtrait progressivement, et les poneys portant le même nom finiraient fatalement par réapparaître !


Question de statistiques. C'est si simple que Rainbow Dash
pourrait l'expliquer, alors que ça ne parle même pas d'elle.

Le modèle des noms "blasonnants" sera donc peu à peu devenu obsolète avec la modernisation et aura périclité, miné par sa lourdeur, ses contradictions, et la maîtrise élevée du langage qu'il impose pour s'y retrouver.
Pour autant, il n'est pas exclu qu'il ait complètement disparu, au contraire. Pourquoi étudie-t-on encore le latin, ou le grec ancien ? Pourquoi une société moderne s'intéresse-t-elle aux musées, aux opéras, aux romans et reconstitutions historiques ?

Parce que ça en jette, si vous me pardonnez l'expression.

La connaissance d'un passé glorieux (ou assez enjolivé pour en avoir l'air) donne toujours une certaine allure, quand on sait comment l'appliquer par petites touches. Équestria ne serait pas en reste, il y a toujours un public sensible à ces coquetteries. On peut nommer son enfant Kévin, Jean-Jacques, Céline ou Bernadette ; on peut aussi lui donner un nom ancien et exotique, tiré de l'histoire ou de la mythologie, ce qui est déjà plus difficile à oublier.
Il est donc probable que chez des gens lettrés, cultivés, et un peu snobs, des noms obéissant aux règles du modèle aristocratique d'autrefois aient un certain panache. Par ailleurs, c'est dans ces mêmes milieux sociaux que l'on apprécierait les tournures de phrases et les déclinaisons de noms à l'ancienne, par goût de l'élégance – ce qui est une façon polie de dire qu'on se la raconte sévère.

Ce qui nous ramène à Twilight Sparkle ! Ses parents, que l'on sache, ne sont pas des nobles, mais ce sont tout de même des Canterlotiens. Ils sont aisés, cultivés, et considèrent sûrement l'ambition comme une qualité, au point de l'enseigner à des enfants qui deviendront respectivement capitaine de la Garde, et éternelle-1ère-de-la-classe-option-prodige-de-la-magie-et-élève-favorite-de-la-Princesse... La suite, vous la connaissez.
Il n'est donc pas surprenant que Twilight comme son frère aient été baptisés "à l'ancienne", car ils ont grandi dans un milieu social où ce genre de pratique sera estimé, quoique pas indispensable.
Un bref regard sur Sunset Shimmer, Starlight Glimmer, Sunburst, sa mère Stellar Flare, et même Sapphire Shores ("Plages/Berges de Saphir") ou encore Luster Dawn ("Aube Lustrée") semble confirmer ce phénomène. Ces noms à base poétique, colportant souvent un nom de famille discret sont tout simplement un archaïsme particulièrement prisé dans les classes supérieures, particulièrement les licornes.


Twilight Sparkle et Sunburst citent même des grimoires
 dans leur Vieux Ponéen originel, une langue si ancienne
 que Célestia et Luna l'ont pratiquement oubliée. Crâneurs.


Et pas uniquement !
En effet, il n'y a pas besoin d'être riche pour être cultivé, et il n'y a pas non plus besoin d'être très cultivé pour connaître et employer des formules archaïques. La langue anglaise est particulièrement truffée de formules, d'aphorismes, de proverbes qui remontent à... Shakespeare ! Et les textes de ce dernier ont tant influencé la langue, écrite comme orale, qu'on peut entendre au Royaume-Uni les paysans, les ouvriers, les délinquants citer Hamlet, Roméo & Juliette, Le Marchand de Venise dans des conversations sans même savoir d'où cela vient. Même chez les francophones, nombre d'expressions populaires nous viennent d'œuvres anciennes, que nous citons et comprenons sans y faire attention, tels des Monsieur Jourdain de la littérature classique.
Rien n'interdit qu'en plus de 1500 ans d'histoire, Équestria ait observé des processus similaires, et c'est ainsi que les procédés de noms à thème et de filiation à rebours du modèle aristocratique auraient transpiré, quitte à se déformer lourdement, dans le langage courant.
D'où, la possibilité pour Iron Will (pourtant plus homme minotaure d'affaires que de lettres) de regrouper toute une famille sous le demi-prénom "Sparkle", sans que personne ne trouve ça étrange. C'est aussi ce qui permet à Rainbow Dash de s'adresser aux parents de Fluttershy en tant que "M. et Mme Shy". Pour autant qu'on sache, c'est peut-être même une faute de langage, un emploi erroné du fonctionnement de la langue, mais qui est passée dans la langage courant (possiblement à titre ironique) et que le poney lambda utilise sans sourciller.
Quant à la possibilité qu'ils aient eux-même la particule "Shy" dans leur nom, post-mariage... Pourquoi pas, mais Zephyr Breeze ne l'a pas, pourquoi sa grande sœur, si ? L'hypothèse la plus probable, pour moi, est plutôt que cet humble couple de retraités, des gens simples et encore plus effacés que leur fille, trouve assez confortable qu'on les appelle en gros "Parents de Fluttershy". Ils sont suffisamment discrets et fiers d'elle pour accepter sans problème de s'effacer derrière son nom.

b) Le modèle populaire a encore de beaux jours devant lui... avec quelques exceptions

Passons maintenant à ces autres noms plus simples issus du peuple. Nous avons identifié les Pie, chez qui la fonction pratique de l'identification de la famille est remplie par le nom "Pie" invariable, aux origines obscures. Le thème de la pierre a beau être prégnant, il peut n'avoir qu'un but esthétique.
Les deux seules exceptions à cette règle semblent être Pinkamena "Pinkie" ("Le petit doigt") Diane Pie, et Maudileena "Maud" Daisy ("Pâquerette") Pie.
Sur elles, je n'aurai pas grand-chose à dire, si ce n'est que Maud serait un jeu de mot sur la "Mud Pie", ou "tarte à la boue", un dessert emblématique de l'Amérique du Nord rurale qui inspire si souvent toute cette famille. Lauren Faust aurait même envisagé, avant son départ, de nommer Limestone et Marble sur ce même modèle des tartes et tourtes...
En revanche, on aura entendu Pinkie Pie parler de sa "Granny Pie" et d'une "Nana Pinkie". Ce sont des informations très liminaires, mais cela indiquerait que des morceaux plus individuels de prénom peuvent aussi se transmettre dans la famille Pie, tels quels et sans variations – encore une fois, la classe travailleuse a autre chose à faire que d'apprendre un complexe système de déclinaisons pour nommer ses enfants, et préfère les solutions simples et efficaces.
On pourrait aussi spéculer, mais on s'avance un peu, que ces deux grand-mères soient une seule et même personne, théoriquement la mère du père de notre Pinkie Pie. Cela permettrait d'expliquer l'apparente exception à la règle de son nom : elle a été nommée en hommage à une ancêtre, ce qui cimenterait cette forte inspiration des communautés Mormones ou Amish.


On trouve beaucoup ces communautés dans une région des États-Unis qu'on
surnomme le Dust Bowl, "Bol de Poussière". En principe, c'est une métaphore.


Pas uniquement celles-là, d'ailleurs : c'est une pratique encore courante dans notre monde, où pour préserver un héritage historique, on nomme un enfant d'après le prénom d'un grand-parent. Ce n'est pas très imaginatif, mais c'est toujours moins pire que le système des "Senior/Junior" si répandu chez les anglo-saxons.
On peut présumer en outre que puisque Pinkie ne semble pas partie pour reprendre la ferme familiale, ne pas l'avoir nommée d'après des pierres n'est pas si grave que cela...
D'ailleurs, son propre enfant s'appelle "Lil' Cheese", mais on peut avancer sans risque qu'il s'agit, de nouveau, d'une déclinaison de son nom ou d'un surnom dû à son jeune âge. Il serait en effet assez déplaisant de s'appeler encore "Little" quand on est adulte !

Au tour des Apple, à présent. Nous avons pu voir que chez eux aussi, on avait appliqué une solution simple : un véritable nom de famille, héréditaire, quasiment toujours le même. On ne constate que quelques exceptions, comme les fameux "Cousins Orange" d'Applejack, bien installés à Manehattan. Une branche aux débuts de l'histoire de la famille, avant que celle-ci ne soit si homogène, a dû faire un choix de cultures différent et gagner ce sobriquet qui est resté.
À l'inverse, on croise aussi des Apple pur jus (sans mauvais jeu de mot) qui n'ont pas exactement ce préfixe dans leur nom, mais où le thème reste suffisamment évident et marqué pour que les confusions soient impossibles. Là encore, outre la question de la filiation, ce thème unique remplit l'indispensable fonction d'unifier la famille. La puissance de ces liens familiaux permet de faciliter l'entraide et la solidarité : ainsi, deux Apple qui se rencontrent par hasard sans se connaître, n'importe où dans le pays devraient immédiatement se reconnaître comme apparentés, et s'offrir une assistance mutuelle. Force est de constater que c'est réussi, car on trouve des Apple partout en Équestria, et pourtant les réunions de famille attirent toujours beaucoup de monde.
C'est particulièrement utile lorsque la famille est, justement, aussi large et répandue : où que se trouve un Apple, il a des chances de trouver un cousin ou une cousine (et encore une fois, il n'y a pas de degrés ou de hiérarchie : un Apple est un Apple, c'est tout) qui pourra l'héberger ou l'aider à trouver du travail. Ceci dit, il y a un revers à la médaille de cette formidable unité : elle crée une forme de mentalité "Nous/Eux", qui peut poser des problèmes de relations avec d'autres familles comme les Pear...

... dont sont pourtant issus nos Apple favoris ! À ce moment-là, il y a un autre avantage à un nom de famille unique qui ne cherche pas à faire des mélanges sur le modèle de l'aristocratie. Les enfants Apple, dont la mère est une Pear, sont élevés en Apple et appelés comme tels. Cela évite toute possible friction avec d'autres membres de la famille un peu trop grincheux... Certes, on dissimule leur ascendance du côté de leur mère, mais puisque celle-ci a été reniée par son père qui est ensuite parti très loin, c'est aussi toute cette douleur qui leur est évitée. Encore une fois, c'est une solution de paysans pragmatiques : simple, efficace, et qui ne crée pas davantage de problèmes qu'elle n'en résout.

Il y a un autre détail intéressant à rapporter chez cette cellule particulière des Apple : Granny Smith et Big McIntosh.
Ils n'ont pas la particule "Apple" dans leur nom, mais le thème reste assez évident puisqu'il s'agit de deux variétés de pommes... À ceci près que "Granny Smith" inclut aussi "grand-mère". Elle ne s'appelait tout de même pas comme ça quand elle était jeune, si ?
C'est là qu'on peut soupçonner que le modèle des déclinaisons de nom réapparaît, par petites touches, peut-être chez des membres ayant fait un peu plus d'études et capables de manipuler la langue pour trouver ces nouvelles expressions d'un nom. Transformer le nom de Granny Smith de cette manière, quitte peut-être à rajouter un mot, serait un surnom à la fois respectueux et affectueux, à cheval entre "Mamie" et "l'Ancienne". Ironiquement, c'est aussi le même genre de déclinaison qu'on retrouverait chez Grand Pear...
Dans nombre de cultures, on doit en effet du respect aux aînés, particulièrement les personnes vraiment âgées, et il est courant qu'on les appelle "grand-père" ou "grand-mère" même sans être de la même famille. C'est un phénomène que l'on observe par exemple en Afrique subsaharienne, où l'on voit aussi de parfaits inconnus s'appeler "Mon fils/ma fille" et "Tonton/Tantie", pour peu que la différence d'âge soit assez grande ; ou encore au Japon avec "Oba-chan" (grand-mère) et "Ji-san" (grand-père), qui portent tous les deux un suffixe témoignant de la déférence.
Mais qui, dans cette humble famille de fermiers, serait à même de réaliser ce genre d'exercice littéraire ?
Dans ce rôle, je verrais bien... Big McIntosh ! Le grand-frère a beau ne pas être très bavard, deux épisodes (et demi) prouvent clairement qu'il sait très bien parler, avec beaucoup de vocabulaire et de raffinement. Peut-être même trop, puisqu'avant de faire le choix de déblatérer moins et écouter plus, c'était lui-même qu'il préférait écouter parler... Quoi qu'il en soit, il a bien fallu pour faire de l'esbroufe qu'il acquière cette maîtrise de la langue, malgré son travail à la ferme, et il serait très possible que ce soit vers cette même époque qu'il a trouvé comment transformer le prénom originel de Granny Smith (que l'on ne connaîtra probablement jamais) en quelque chose qui corresponde mieux à son grand âge. Ce nouveau nom serait resté, ayant séduit la famille par son élégance et son à-propos.
Je me permets même d'aller un peu plus loin : Big McIntosh a composé lui-même son propre nom. En effet, sa page sur le wiki stipule qu'il devait à l'origine (dans la bible de la série) s'appeler "Big Apple". Pas très imaginatif ! Mais pourquoi ne se serait-il pas vraiment appelé comme ça, à la naissance, peut-être en raison d'une carrure déjà forte ? On y trouverait le nom de famille habituel que ses parents auraient été soucieux de souligner, ne serait-ce que pour éviter toute friction avec le reste de la famille, car le temps des conflits avec les Pear était encore récent. Par la suite, ce poulain déjà très friand d'éducation aurait trouvé ce nom fade et inintéressant. Il aurait donc cherché à s'en faire un nouveau, et la disparition prématurée de son père Bright Mac l'aurait poussé à reprendre, à l'ancienne, une partie de son nom pour lui rendre hommage et faire vivre sa mémoire.


Noter l'astucieux graffiti à base de marques de beauté.
Beaucoup plus élégant que des initiales !

 

c) Les exceptions et cas particuliers

On pourrait chercher nombre d'autres cas qui se conforment plus ou moins bien à ces modèles. Mais ce qui m'intéresse, c'est plutôt ceux qui s'en dégagent complètement, car il y en a. À commencer par deux des membres du Mane 6, qui ne seront pas passées sous silence, les pauvres petites.

Rarity, par exemple, porte... un nom. Unique. Qui n'est composé que d'un seul mot, et qui signifie (surprise, surprise) "Rareté". Sa sœur, Sweetie Belle, porte un nom qui n'a aucun rapport, alors que même chez Fluttershy ("Battement [d'ailes] timide") et son frère Zephyr Breeze, on constatait une vague parenté des thèmes du vol et des ailes, mais ce doivent être des éléments de noms très courants chez les pégases.
Chez Rarity et Sweetie Belle, rien. Et leurs parents ne sont pas en reste : Hondo Flanks ("Flancs profonds", si l'on considère que Hondo signifie "profond" en Espagnol) et Cookie Crumbles ("Miettes de cookie"). Un couple banal, aux noms banals, aux professions sans rapport...
Pour moi, tout tient en fait à cela. C'est une famille de gens ordinaires, qui n'ont pas d'ascendance notable, pas de lignage particulier, ou bien qui s'en fichent. Ils peuvent donc nommer leurs enfants comme ils l'entendent, d'autant qu'ils ne font pas non plus tourner leur vie (et leur nom) autour de leur travail, voire sont retraités.

Dans ce dernier cas, et si l'on trace le parallèle avec M. et Mme. Shy, peut-être est-il courant chez les familles d'humble extraction de porter un nom (ou une déclinaison du nom) clairement en rapport avec la profession comme pour la famille Cake, aussi longtemps qu'on exerce ce métier, ne serait-ce que pour faciliter l'identification en société ; et de renoncer à ce "nom professionnel public" devenu obsolète, une fois à la retraite. Le nom serait alors non seulement une marque de l'individu, de sa famille, mais aussi de sa fonction sociale, mais j'ai trop peu d'éléments pour étayer cette hypothèse.
En tout cas, il est certain qu'ils ont nommé leurs deux filles sans le moindre souci de thème récurrent, mais peut-être est-ce volontaire. Rarity, en particulier, porte un prénom qui sort vraiment de l'ordinaire, puisqu'il n'est même pas composé ; une rareté en soi, et cela correspond parfaitement à sa personnalité. Peut-être qu'Hondo Flanks et Cookie Crumbles ont eu un pressentiment à sa naissance... Il est amusant aussi de constater que malgré son goût pour la mode, le raffinement, le luxe, et sa passion pour Canterlot, Rarity n'a pas changé son nom en quelque chose de plus huppé, sur le modèle aristocratique par exemple. Quitte à passer pour une étrangère ou une intruse, elle assume ses origines, bien que ses parents ne soient pas un exemple rayonnant de bon goût...

D'un autre côté, c'est cohérent avec sa personnalité et sa trajectoire. Rarity est une parvenue, une petite provinciale qui a percé dans deux grandes métropoles, et elle l'a fait toute seule grâce à son talent, pas grâce à sa naissance ou au pistonnage. Ce qui fait d'elle, encore une fois, une rareté, et c'est pourquoi elle assume et même revendique le fait de venir de Ponyville : si elle se conformait volontairement et en tous points à la haute société qu'elle fréquente, elle deviendrait banale et se dissoudrait dans la masse, alors que ce surcroît d'originalité est ce qui fait d'elle un joyau rare.
Sweetie Belle, en comparaison, semble avoir un nom bien plus commun. Si commun, en fait, que le mot "Belle" se retrouve à l'identique chez Sugar Belle ; c'est peut-être un élément de prénom courant chez les classes pauvres à moyennes, dont elle viennent toutes les deux. Ceci dit, ce nom sans grande personnalité, qui ne souligne pas non plus son talent, qui ne dégage pas grand-chose d'autre que "mignonne et bien gentille" en fin de compte, a peut-être beaucoup influé sur sa personnalité.
Comment ? Tout simplement en l'enfermant, dès l'enfance, dans le rôle de la petite sœur, banale et générique, qui est arrivée après "Rarity-la-perle-rare-talentueuse" et a grandi dans son ombre. Rien d'étonnant, par conséquent, à ce qu'elle cherche autant à se rapprocher de sa grande sœur et à se mettre à son niveau (notamment par l'imitation), aux débuts de la série : leurs parents les ont peut-être élevées en les cloîtrant, bien involontairement sans doute, dans des rôles qui génèrent une inégalité et donc une tension.

Enfin, terminons avec Rainbow Dash ("Arc-en-ciel fonceur"), dont le nom a l'air d'un cas simple, mais qui me semble au contraire cacher quelques surprises. On a déjà pu voir dans la première partie qu'il s'agissait de l'un des noms les plus déclinés dans la série : "Rainbow Dash", "Rainbow", "Dashie", "Rainbow Crash", etc. Mais au-delà des variations de ton et de contexte, c'est peut-être un nom qui porte une véritable histoire.
Ses parents se nomment Bow Hothoof ("Arc/Nœud Chaud-sabot") et Windy Whistles ("Sifflements Venteux"). Des noms où l'on retrouve un des thèmes vaguement aériens, qui doivent être répandus chez les pégases, mais qui n'ont pas de réelle parenté avec le nom de la fameuse voltigeuse. À part le fragment "Bow", partie incomplète de "Rainbow" peut-être, que ce père aurait héritée d'un ancêtre en même temps que les gènes qui lui donnent cette couleur de crinière si particulière... Là aussi, on a peut-être affaire à une résurgence des systèmes traditionnels des noms, mais une forme particulièrement tronquée qui ne s'inscrit ni dans le modèle aristocratique, ni dans le modèle populaire. On conserve juste un morceau de "Rainbow", mais sans le sens de l'arc-en-ciel.
Le nom de Rainbow Dash aurait plus de chances de lui avoir été donné d'après sa crinière et son apparence que véritablement transmis, et encore... Ses parents n'ont pas l'air d'être des lettrés, et n'ont sûrement qu'une faible notion des noms poétiques. Tout ce qu'on sait, c'est qu'ils aiment leur fille unique, et qu'elle trouve qu'ils le montrent un peu trop...
Tellement, peut-être, qu'elle aurait cherché à s'en distancier ? Au point, peut-être, de se forger son propre nom ? Car il y a un autre personnage dans cette série qui se fait appeler "Rainbow" , et de qui elle pourrait tenir cet élément. Le wiki l'identifie comme Rainbow Blaze ("Flamboiement/Incandescence de l'arc-en-ciel"), et s'il n'a jamais tenu un grand rôle, il est discrètement présenté comme un genre de mentor pour Rainbow Dash, à tel point que les fans ont cru un moment qu'il était son père. Ce qui était peut-être envisagé par les créateurs, et il ne serait pas surprenant que Rainbow Dash elle-même eût préféré qu'il le fût vraiment...


La ressemblance est si frappante qu'on soupçonnerait presque
Rainbow Dash de s'être aussi teint le crin pour lui ressembler.
Presque...


Après tout, Bow Hothoof et Windy Whistles ne ressemblent pas du tout à ce que l'on imaginerait comme les "parents idéaux" pour quelqu'un comme Rainbow Dash.
Outre leur apparent manque de "génialitude", ils doivent surtout être très durs à supporter pour leur fille à cause de leur façon de la féliciter inconditionnellement. Cela pose un réel problème pour elle, car Rainbow Dash a un sens exacerbé du mérite et de l'effort récompensé, un vrai complexe qui s'accompagne de problèmes de confiance en elle. Et pour cause : si ses parents la félicitent de la même manière pour les petits rien que pour les vrais exploits, les seconds sont mis au même niveau que les premiers et par conséquent s'en trouvent dévalués.
À l'inverse, un mentor comme Rainbow Blaze fournirait une figure parentale plus appropriée pour son épanouissement personnel. À son apparence et son nom, il est peut-être acrobate lui-même ou instructeur de vol ; surtout, s'il a le rôle d'un professeur, il prodigue des conseils, des corrections, pousse ses élèves vers le haut, mais surtout il porte un jugement critique et éclairé sur leurs performances. C'est bien là ce qui manquait à la petite Rainbow Dash : quelqu'un qui soit capable d'estimer ses efforts avec justesse, pour lui permettre de corriger ses erreurs et reconnaître ses progrès. On ne progresse pas avec quelqu'un qui ne sait adresser que des bravos.
Aussi, il serait cohérent que Dashie se sente d'avantage affiliée à ce personnage qu'avec ses propres parents (quelle fille ingrate), elle aurait donc changé tout ou partie de son nom pour lui faire référence. Bow et Windy étant fiers de leur enfant quoi qu'il advienne, ils ne lui en ont sans doute pas trop voulu, ou ont choisi de ne pas le montrer pour ne pas la choquer...
On peut relever en revanche une dernière anecdote au sujet de notre pégase : qu'elle ait ou pas changé son nom de naissance, elle n'a pas abandonné "Rainbow Dash", quand bien même il lui valait d'être surnommée "Rainbow Crash".
Là où le surnom "Crash" lui-même est intéressant, c'est qu'il n'est pas qu'un jeu de mot facile : il est devenu une déclinaison du nom à part entière, dans deux contextes différents. Le premier est celui de la moquerie mesquine, le second, une vanne exprimant la camaraderie.
Or, c'est important car Rainbow Dash finit par l'accepter et même... le revendiquer ! Si les Wonderbolts l'appellent "Crash", c'est en effet parce qu'ils la reconnaissent comme l'une des leurs. Aussi, le surnom qui était une tentative de la dévaluer, quand elle était petite, se transforme à l'âge adulte en l'expression de son rêve réalisé. Il cristallise sa réussite et démontre son mérite auquel elle tient tant. Rien d'étonnant, donc, à ce qu'elle l'embrasse pleinement, comme un nouvel aspect de son identité.

"Rainbow Crash" peut même s'écrire sous forme de
  pictogramme, presque d'un rébus. Pratique, non ?

En résumé, le prénom de Rainbow Dash n'a peut-être pas changé, car ce n'est là que de la spéculation. Mais si c'était le cas, si elle était vraiment passée par les étape d'un nouveau nom, puis du refus d'un surnom, avant au contraire de le reconnaître, alors ce passage de l'obstination au compromis témoignerait de tout le chemin qu'elle a parcouru et de la maturité qu'elle a gagnée. En-dehors des modèles de noms évoqué plus haut, le sien est tout particulièrement une expression de son identité propre, à elle et personne d'autre :
d'abord, celle qu'elle a revendiquée, ensuite, celle avec laquelle elle a fini par s'accorder.

 


Conclusion

À présent, si je n'ai réussi ni à vous endormir ni à vous lasser, vous pouvez formuler toutes vos objections. Elles sont sans doute justifiées !
À commencer par la plus évidente : "Ce sont des personnages de fiction, au nom inventé de toutes pièces par des auteurs dans le but de leur donner du sens. Pourquoi perdre tout ce temps à parler de linguistique, d'héraldique et de sociologie ?"

Mais c'est bien ce que j'ai trouvé amusant dans cet exercice, et j'espère que vous l'aurez trouvé amusant aussi : éviter la réponse la plus facile, en cherchant des réponse élaborées à une question absurde.
Et qui sait, peut-être que cet essai vous inspirera à votre tour, pour des fanfictions, des créations d'univers, ou même pour faire vos propres recherches avant de démolir point par point mon argumentaire. Pourquoi pas, si c'est amusant et stimulant ?

J'espère donc que ce petit texte qu'il ne faut pas prendre trop au sérieux, même s'il a l'air de le faire, aura suffi à vous divertir, à vous faire découvrir de nouvelles choses, voire à vous faire réfléchir. Et pour résumer l'esprit de cette divagation, ce n'est pas parce qu'on s'amuse à écrire des bêtises qu'on ne peut pas le faire sérieusement !

À bientôt !

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